L’ultimatum de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) imposé aux autorités putschistes nigériennes pour un retour à l’ordre constitutionnel au Niger a expiré mais la CEDEAO lancera-t-elle vraiment son intervention militaire dans le pays? Et dans ce contexte, la France doit-elle aussi s’impliquer militairement? Présente dans le pays et proche collaboratrice de l’armée nigérienne jusque-là dans la lutte anti-terroriste dans la région et des autres pays de la région à divers titres (forces prépositionnées, coopérations…), elle n’échapperait pas aux conséquences d’éventuelles hostilités dans la région, qu’elle choisisse ou non d’agir aux côtés de la CEDEAO. Elle a aussi assuré ce dimanche qu’elle appuierait « avec fermeté et détermination les efforts de la CEDEAO pour faire échouer cette tentative de putsch ». Mais doit-elle le faire? Et surtout comment? La France veut changer sa manière de collaborer avec les pays africains. Elle ne veut plus agir comme au bon vieux temps, lorsqu’elle pensait se trouver dans l’obligation morale d’assurer le progrès, la paix et la sécurité dans son pré carré. Et elle ne doit plus le faire surtout. Avec cette nouvelle crise, elle doit démontrer qu’elle est prête, que nous sommes prêts « d’aller jusqu’au bout du changement ».
Dans son discours du 28 février 2023 sur le partenariat Afrique-France, le Président Macron l’a réaffirmé. La transformation de cette relation qu’il a lancé depuis son arrivée au pouvoir doit se poursuivre. Ce changement passe par la refonte de notre manière d’agir et de collaborer avec les Etats africains et les crises passées au Mali et au Burkina Faso ont démontré toutes ces ramifications dans la stratégie militaire française dans la région. A l’heure où la France propose la co-gestion des bases françaises permanentes à ses partenaires africains, l’option militaire dans la crise nigérienne compatible avec cette nouvelle approche semble être celle d’un soutien discret et plus logistiques aux opérations des Etats africains, de préférence sous l’égide de la CEDEAO et de l’ONU. L’aide à la planification des opérations doit sûrement déjà avoir lieu, grâce notamment aux forces françaises prépositionnées au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Le recours à d’autres moyens militaires comme les forces spéciales, les capacités de renseignement voire de frappes aériennes par drone ou par nos forces aériennes seront des possibilités, mais il est fort à parier que les autorités françaises choisissent la retenue tant qu’elle le peut si cette option d’une intervention était au final retenue. Dans le cas d’une non-intervention de la CEDEAO, la France ne fera sûrement pas ce que les autres pays africains n’auront pas voulu faire. Cela ouvrirait alors la porte à un nouveau retrait de la région même si ce n’est pas encore à l’ordre du jour.
C’est une ligne de crête qui sera difficile à tenir pour nous. Nous avons d’autres habitudes d’opérations et de présence. Mais nous avons aussi l’obligation de rester les plus discrets possibles afin de ne pas décrédibiliser les actions des forces africaines et ne pas contribuer à nourrir la propagande anti-française. La consistance est un élément important pour décrédibiliser les discours entretenus par les factions anti-françaises dans la région. Car c’est là aussi l’enjeu et notre intérêt premier. La France a redéfini des axes de collaboration avec les Etats africains et la société civile africaine. Elle tente d’écouter les intérêts, les problèmes et les solutions des Africains en évitant de céder d’y imposer nos propres grilles de lecture. La France repense sa coopération économique et monétaire dans sa région et faire la transition du franc CFA vers une monnaie régionale. Elle repense sa coopération culturelle et universitaire. Elle repense sa présence militaire avec l’option de la co-gestion, première étape vers une présence non plus permanente, mais intérimaire, adaptée aux missions, aux menaces et aux besoins des pays africains. Le Président Macron l’a rappelé dans ce discours du 28 février et s’y tenir impose une discipline et une rigueur qui doit payer sur le long terme, même si cela passe par certains inconforts temporaires.
Cela doit-il pourtant nous conduire à l’inaction? Les intérêts de la France demeurent dans la lutte anti-terroriste dans la région. De façon un peu cynique, elle aurait pu très bien brandir cet argument pour continuer la coopération avec le Niger dans ce domaine, mais les coûts politiques seraient trop élevés avec les autres partenaires de la région qui craignent cet effet domino des coups d’Etat dans la région. Ce n’est pas non plus ce que nous voulons. Avec ou sans intervention de la CEDEAO au Niger, la France devra poursuivre la révision de son action en Afrique. C’est l’occasion de poursuivre ces changements menant à des actions et à une présence plus discrète, plus centrée sur la formation et le développement des capacités locales, en fournissant aux pays de la région ce dont ils ont vraiment besoin pour mener cette lutte contre le terrorisme par eux-mêmes.
La France pourvoyeuse de sécurité comme elle ambitionne de l’être dans sa revue nationale stratégique de 2022 doit le faire en pensant d’abord et avant tout aux besoins et solutions africaines. C’est ce que l’on tente de faire ces dernières années dans les autres domaines. La France l’a aussi fait ces derniers mois au Niger même dans la lutte anti-terroriste, en se mettant le plus en retrait et en soutien possible des actions des armées nigériennes. C’est au tour de notre présence et de nos actions militaires de s’adapter à cette nouvelle réalité à travers tout le continent. Apprenons les vertus de la discrétion dans nos actions dans la région.