L’annonce du gouvernement australien n’a manqué ni de panache, ni de surprises. Attendue et prévue depuis la Defence Strategic Review au mois d’avril 2023, l’Enhanced Lethality Surface Combatant Review amorce un changement majeur dans ses investissements, ainsi que dans la taille et la structure de la Royal Australian Navy. Il est dorénavant prévu de doubler la taille de sa flotte de navires de premier et de second rang à 26 unités. Un investissement supplémentaire de 1,1Bn$ australiens par an ou 11Mds$ australiens sur la décennie à venir est annoncé à ce stade, portant à 38Mds$ l’investissement australien total dans le renouvellement de sa flotte de surface.
La Defence Strategic Review (DSR) avait mandaté la création d’une commission indépendante d’audit devant émettre des recommandations sur la taille, structure et composition de la flotte de surface australienne, avec les coûts, calendriers et contraintes industrielles associées, afin d’adapter cette flotte au nouveau contexte et aux exigences identifiés dans la revue. La DSR appelait à une augmentation des capacités de frappe longue portée, de défense aérienne, de présence opérationnelle et de lutte anti-sous-marine. La flotte de surface de la RAN devait ainsi compléter la flotte sous-marine australienne organisée au sein de l’AUKUS.
Le nouveau projet pour la flotte australienne comprend donc les éléments suivants:
- Trois destroyers de la classe Hobart qui verront leur système de combat AEGIS modernisés.
- Une réduction de la cible de frégates de classe Hunter de 9 à 6 unités.
- L’acquisition de 6 Large Optionally Crewed Surface Vessels, en coopération et en relation avec les projets actuels de l’US Navy dans ce domaine.
- Le remplacement progressif des frégates ANZAC par 11 frégates légères dont les trois premières unités seront acquises directement du fournisseur avant une production en Australie. Quatre modèles ont été présélectionnés: la frégate MEKO 200 de Thyssen-Krupp Marine Systems, la frégate japonaise Mogami 30FFM de Mitsubishi, la frégate sud-coréenne Daegu class FFX Batch II et la frégate espagnole ALFA3000 de Navantia.
- L’annulation du programme d’upgrades des frégates ANZAC. A court terme, 6 ANZACs seront équipées de capacités supplémentaires de frappes dans la profondeur le temps de les remplacer par de nouvelles frégates légères, tandis que les deux plus anciennes seront retirées du service à leur terme.
- La réduction de moitié du nombre d’OPV de la classe Arafura à 6 unités qui intègreront une flotte de 25 navires légers comprenant aussi 19 Evolved Cape Class Patrol Boats (ECCPB), réparties entre la RAN et les garde-côtes australiens pour les missions de sécurité maritime.

Cette revue tente de prendre aussi en compte le facteur humain de l’équation de la flotte australienne qui fait aussi face à une crise des vocations et des talents pour armer ses navires ou pour faire fonctionner les chantiers navals australiens d’Henderson en Australie Occidentale ou d’Osborne en Australie méridionale. Des factsheets sont disponibles pour chacun de ces Etats et il reste à espérer que la clarté affichée de la feuille de route en matière de charge de travail et d’investissement dans les forces maritimes de surface permette de résoudre ce problème.
Cette revue n’échappe pas non plus à certains écueils assez similaires à ceux du projet des sous-marins. L’Australie pourra mener ses modernisations annoncées et lancer dès 2024 la production de la première frégate Hunter, mais pour ses 11 general purpose frigates, elle devra commencer par se procurer les premières unités directement chez le fournisseur avant de les produire sur place. De la même manière, pour ses LOCSV, la RAN devra chercher la solution auprès des Américains. La grande différence sera que l’Australie devrait être capable de prendre le relai de leurs productions et développements au bout de quelques années, dans tous les cas, bien plus rapidement que pour les sous-marins.
Sur les points positifs de ce projet, le doublement de la taille de la flotte de premier et de second rang pourra, si elle se réalise, faire bien quelques jaloux. Surtout, comme le souligne Malcom Davis, Senior Analyst pour le think tank australien ASPI, le nouveau format de cette flotte devrait lui permettre de se doter d’un total de 528 cellules pour système de lancements verticaux de missiles et répondre à l’objectif d’augmentation de la létalité des forces navales australiennes à relier avec ses ambitions de frappe dans la profondeur ou de stratégie de déni :
« The LOSV sounds like a good investment. It gives the Navy 144 cells across the three Hobart class air warfare destroyers (AWDs), 192 across the six Hunter class future frigates, and a further 192 across six planned LOSVs), 528 cells in all. That compares to 432 in the original fleet plan of three AWDs and nine Hunter class frigates.«
C’est l’autre point innovant et positif de cette revue. Souvent critiquée pour son manque d’audace et sa frilosité à innover ou changer son modèle d’opérations, la Royal Australian Navy devrait être dotée de Large Optionally Crewed Surface Vessel, comparés dans ce dernier article à une nouvelle forme de canonnière. Pour avoir plus de masse, plus de puissance de feu avec un nombre contraint de marins et quand même des ressources sous pression en raison des projets de sous-marin et ce, malgré les hausses budgétaires prévues, la RAN veut s’inspirer de l’US Navy et coopérer avec elle à partir de ses projets en la matière. Dans ce domaine, l’US Navy dispose d’une stratégie globale de développement et d’acquisitions de navires dronisés de toute taille, dont la catégorie des Large Unmanned Surface Vessels (LUSV). Six premiers contrats de développement avait été attribués par l’US Navy à six sociétés en compétition, dont certains ne sont pas ou plus inconnus en Australie: Huntington Ingalls Inc., Lockheed Martin, Bollinger Shipyards Lockport LLC, Marinette Marine Corp., Gibbs & Cox Inc. et Austal USA. En 2022, ces sociétés ont obtenu une modification de leur contrat et des fonds supplémentaires pour la poursuite du développement de ces options. Les résultats de ces contrats sont attendus pour Septembre 2024, avec des premières démonstrations qui ont été annoncées par certains développeurs fin 2023. La production des LOSCV australiens est quant à elle annoncée à Henderson chez… Austal peut-être? Les capacités de lancement de missiles des LOSCV sont alignées sur la capacité maximale de lancement actuellement imaginée pour les LUSV de l’US Navy qui est comprise entre 16 et 32 tubes lance-missiles.
La revue n’annonce pas de rattachement particulier des LOSCV à AUKUS mais cette capacité devient un candidat naturel à son intégration. Au mois de décembre 2023, lors de la présentation des priorités du Pillar 2 de l’AUKUS, les trois Etats avaient annoncé le lancement de l’AUKUS Maritime Autonomy Experimentation and Exercise Series qui devait permettre d’expérimenter de nouveaux systèmes dronisés de tout type dont de surface. Il ne faudra donc pas être surpris de voir les drones de surface américains de tout type apparaître dans les campagnes futures d’essai et de démonstration. L’un des LUSV américains pourraient en être la future vedette et c’est sûrement un point à surveiller dans les mois à venir.
Le choix du fournisseur des general purpose frigates sera, enfin, un choix autant militaire et industriel que stratégique. l’Australie choisira-t-elle l’Europe ou l’Asie? Ses fournisseurs et partenaires plus traditionnelles ou la rupture stratégique pour promouvoir des partenariats actuellement en devenir dans son voisinage le plus proche qui ont aussi besoin de projets structurants pour s’imposer? La capacité à délivrer les navires dans de courts délais comptera sûrement et il faut ici examiner les capacités de production de chaque concurrent. L’Australie vient aussi de rejoindre le Light Weight Torpedo program de l’OCCAR dans lequel participe l’Allemagne et qui pourraient à terme équiper ces frégates. La liste est longue des coopérations et intérêts avec l’Espagne ou l’Allemagne. Au même moment, l’Australie a développé des partenariats avec Hanwha et la Corée du Sud pour son artillerie et ses IFV, tandis que Japon et Australie se lancent dans des coopérations dans les capacités sous-marines justement, avec une possible intégration dans AUKUS en ligne de mire (au moins pour le deuxième pilier). Le gouvernement Albanese doit choisir vite mais ce choix reste compliqué dans la géopolitique actuelle de la région. La dynamique est certainement plus en faveur du Japon et de la Corée du Sud dans ce contexte.
Voici les premiers commentaires à chaud de cette annonce qui permet de clarifier ce à quoi la RAN ressemblera dans les décennies à venir. Je reviendrai dessus si besoin pour préciser et clarifier en fonction aussi des retombées et précisions éventuelles. Il faut dire que cela commençait à faire long, depuis l’annonce du partenariat AUKUS en septembre 2021 qui laissait présager d’importantes conséquences sur les autres composantes de l’armée australienne. Cela n’a donc pas manqué et il leur a fallu du temps pour clarifier tout ce qui pouvait l’être. Si elle y arrive, l’Australie aurait quand même réussi à doubler cette flotte, la moderniser et l’armer conformément aux objectifs stratégiques affichés ces dernières années. Les périmètres ne sont pas les mêmes (je ne pense pas que les 38Mds comprennent tout le cycle de vie des navires avec la maintenance, etc.), mais à prix affiché, elle aurait réussi à faire cela pour un peu plus du dixième du prix affiché pour ses sous-marins…