Trump le Pacificateur, la nouvelle Pax Americana et le Grand Remplacement de l’ordre international libéral

S’il faut croire le flagorneur général de l’OTAN, Mark Rutte, c’est en « pacificateur pragmatique » que le Président Trump multiplierait les initiatives et les succès pour la paix à travers le monde.

Ces propos visent en premier lieu les efforts trumpiens pour mettre fin au conflit ukrainien, mais le président américain lui même n’oublie pas de souligner dans son dossier de candidature au prix Nobel de la Paix qu’il aurait mis fin à au moins 6 conflits à travers le monde en seulement six mois depuis son retour aux affaires. Les Etats-Unis ne font donc pas que se désengager du Monde.

Bien au contraire, c’est une nouvelle Pax Americana que tente de projeter durablement l’administration Trump depuis sa deuxième élection, une Pax Americana marquée tant par ses aspirations territoriales au Groenland et au Canada que par la signature de tous ces accords de paix, deals commerciaux et autres délibérations en tout genre. A quoi ressemble la nouvelle paix américaine que l’administration Trump 2 tente d’imposer au monde?

Le retrait bien réel des Etats-Unis de l’ordre mondial libéral déstabilisant pour la paix

L’America First aurait très bien pu se résumer à un retrait pur et simple des Etats-Unis de son rôle de gendarme et grand ordonnateur de l’ordre mondial, laissant des pans entiers de la planète se débrouiller seuls pour redéfinir leurs équilibres sécuritaires.

Dans les faits, nombre d’initiatives vont dans ce sens. Les Etats-Unis dénoncent et révisent leurs engagements de nombreux traités. Les sorties du traité de Paris, de l’OMS, de l’UNESCO, de plusieurs organisations onusiennes (UNHCR et UNRWA), pour ne citer qu’eux, en annoncent bien d’autres.

Les financements américains à l’aide au développement sont annulés pour la plupart ou redirigés vers de nouvelles priorités.

La posture des forces américaines sont aussi en pleine révision à travers le monde et aucun partenariat n’est épargné. Les Etats-Unis ont beau recevoir leurs premiers chèques de l’Australie, le partenariat AUKUS doit lui aussi passer comme les autres sous les fourches Caudines de l’administration Trump qui en veut encore plus.

Ce retrait encourage la redéfinition d’équilibres régionaux et mondiaux et l’émergence effective de réelles alternatives dans la gouvernance mondiale. Il débride les ambitions territoriales et les disputes régionales quand le poids de la puissance américaine est levé, et par une forme d’effets mimétiques, encourage d’autres à faire de même.

Le panorama n’est déjà pas des plus brillants lorsque les Etats-Unis restaient engagées en faveur du système international actuel. Nombre de rapports de consultants en risques internationaux pointent du doigt l’explosion du nombre de conflits sur les cinq dernières années, une forte hausse nourrie par le révisionnisme jusqu’aux plus puissants de ce monde. En 2024 par exemple, un rapport du consultant en risques politiques Verisk Maplecroft identifiait une hausse de 64% des conflits entre 2021 et 2024.

La Russie a joué ce rôle déstabilisateur en bafouant les fondements de l’ordre libéral international depuis plus d’une décennie et notamment lorsqu’il a lancé sa guerre illégale d’agression contre l’Ukraine en 2022. La seule « retenue » occidentale a sans doute convaincu les Russes qu’ils pouvaient marcher sur Kiev sans véritable frein. Qu’en serait-il s’il s’agissait d’un vrai « retrait » américain et pas seulement d’une simple « retenue » ou « modération »?

Un retrait plus marqué des Américains ouvrirait donc la voie à d’autres conflits à travers le monde. La poursuite de la guerre de Gaza ou encore l’offensive israélienne contre l’Iran illustrent comment une forme de carte blanche américaine incite à la mise en oeuvre d’agendas maximalistes qui redéfinissent en effet les équilibres régionaux par la force, au détriment de résolutions politiques pourtant nécessaires sur le long terme. Comble de l’ironie pour une administration critiquant les va-t-en guerre de tout parti, les Etats-Unis se sont retrouvés à accompagner les frappes contre le programme militaire iranien et à participer pour un moment à l’un de ces conflits qui marqueront les années 2020.

La Paix au centre de l’agenda de l’America First

Pourtant, le dernier sommet Trump-Poutine d’Anchorage en Alaska est le dernier exemple en date que l’Administration Trump met la paix mondiale au centre de son agenda, une nouvelle forme de paix répondant à l’agenda de l’America First.

La Maison Blanche s’est montrée très proactive pour imposer la paix dans de nombreuses situations à travers le monde, ou du moins pour tenter d’en récupérer les bénéfices. Elle est même devenue le passage obligé pour les pays désireux de déclarer la paix entre eux dans le decorum princier du bureau trumpien. On aurait pu douter que l’administration Trump sache où placer l’Afrique sur une carte, mais cela ne l’a pas empêché de célébrer la « paix » entre la RDC et le Rwanda.

Trump clame haut et fort que l’Inde et le Pakistan ont arrêté l’escalade grâce à son intervention, que l’intervention américaine en Iran dans les pas d’Israël est la « poursuite de la paix à travers la force« , ou encore qu’Egypte et Soudan se seraient rabibochés grâce à lui. Idem pour l’Arménie et l’Azerbaijan ou encore la Thaïlande et le Cambodge.

Les grands traits de la nouvelle puissance pacificatrice américaine par la force

Retrait de l’ancien monde donc mais une Amérique qui veut rester centrale à la paix et au fonctionnement du monde selon de nouveaux termes. Une Amérique qui se déclare elle aussi conquérante et révisionniste. Ses aspirations affichées en début de mandat sur le Groenland, le Canada, le canal de Panama, et même les ressources minières ukrainiennes, les placent dans la même catégorie qu’un Azerbaijan qui a repris le contrôle du Haut Karabagh, qu’une Chine qui veut absorber la mer de Chine méridionale, Taïwan et d’autres îles en Asie de l’Est, ou qu’une Russie aux aspirations territoriales bien plus larges que l’Ukraine sur le théâtre européen, sans parler de ses projets de Gaza Riviera.

A cela, vous ajoutez une Amérique en guerre commerciale permanente avec tout le monde, en guise de réparation et de compensations pour abus de position de faiblesse, sans distinction aucune entre vieux alliés et adversaires stratégiques affichés, et vous trouvez un système international dont les valeurs subissent un grand remplacement. Le détricotage systématique du système qui a fait la puissance et la grandeur des Etats-Unis commence seulement à avoir des effets sur la puissance américaine ou sur l’ordre mondial en profondeur.

La comparaison de la puissance américaine nouvelle avec les standards encore actuels de l’ordre libéral international montre combien la conception de ce que veut dire Paix pour les Etats-Unis est en train de changer. La paix dans l’ordre libéral international impose le respect et l’engagement au moins formel des valeurs et principes ancrés dans le marbre de la charte des Nations Unis et de nombres de déclarations et conventions sur les droits humains, les conflits armés, le droit humanitaire, l’interdiction du recours à la force pour la résolution des litiges entre Etats, etc.

Entre retraits, recours à la force ou à la menace de la force, extorsions à peine déguisée d’accords commerciaux par une politique de la canonnière digitale, affinités avec une Internationale des populismes, l’approche américaine engage de profonds changements et on peut se demander légitimement si on parle de la même chose quand on parle de paix avec les Etats-Unis.

Le choc de Deux Occidents

C’est une question que doivent se poser les Européens. Ces derniers ne peuvent ignorer ces changements puisqu’ils sont les premiers visés. Le pari a été néanmoins pris de se montrer conciliants avec les Etats-Unis pour préserver la relation transatlantique, tant par impuissance que par attente de jours meilleurs.

Pour une Europe encore très majoritairement libérale, le nouveau modèle que tente d’imposer les Etats-Unis sera dur à assimiler et annonce des divergences durables s’il est mené à terme. Poser un nom sur ce modèle est alors un enjeu majeur pour tous.

Sans aucun doute, il prend des formes post-libérales avec les questions identitaires qui se sont imposées dans le débat américain (Woke vs MAGA dans leurs formes extrêmes) bien avant l’ère Trump. Démocrates et républicains se livrent une bataille remportée aujourd’hui par ces derniers. Chaque camp a pu influencer la politique étrangère américaine et l’heure est en effet au grand ménage sous l’America First.

Conséquences de la victoire républicaine : une remise en cause de nombres de présupposés libéraux partagés avec les Européens, comme les valeurs d’universalisme, la protection des droits individuels, la modération dans les débats publics, le pluralisme ou encore la croyance dans le progrès. Et force est de constater que ces changements proviennent des deux principaux camps partisans.

Faut-il aller jusqu’à parler d’une Amérique illibérale? Certains traits évoqués précédemment pour l’Amérique post-libérale peuvent la pousser dans cette direction sans aucun doute. C’est là aussi où la politique intérieure américaine viendra percuter de plein fouet les relations internationales. La militarisation de l’espace public américain avec l’envoi de la Garde nationale dans les grandes villes américaines, la radicalisation des relations Etats-gouvernement fédéral, les politiques de remigration, la remise en cause de nombres de libertés publiques ou de la séparation des pouvoirs, ou encore de la séparation entre Etat et religion affectent les relations des Etats-Unis avec nombres de pays, les rapprochant de certains et les éloignant d’autres.

Surtout, l’administration Trump nourrit la confusion entre politique intérieure et politique extérieure. La question lancinante de « l’élection volée » de 2020 a tout à fait sa place dans les négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie pour un Trump à la recherche d’une réhabilitation constante de ses frasques politiques intérieures. De la même manière, les pulsions identitaires américaines poussent cette administration à projeter sa nouvelle vision du monde dans les affaires intérieures de ses partenaires occidentaux.

L’exemple le plus marquant, et le plus inquiétant, n’a pas été donné par Trump, mais par son héritier présumé et vice-président américain, JD Vance, lors de la Conférence de Munich en février 2025. Dans une Europe en guerre menacée par la Russie à travers son agression en Ukraine et la guerre hybride qu’elle mène contre les démocraties libérales européenne, la plus grande inquiétude du vice-président américaine, ce « n’est pas la Russie, ce n’est pas la Chine, ce n’est aucun autre acteur extérieur. (…) C’est la menace de l’intérieur : le recul de l’Europe sur certaines de ses valeurs les plus fondamentales. Des valeurs partagées avec les États-Unis. »

Il ne faut pas aller bien loin pour voir le malentendu grandissant sur ce que sont ces fameuses « valeurs partagées » des deux côtés de l’Atlantique. Il s’inquiète beaucoup par exemple de la question de la liberté d’expression qui serait bafouée par les « limites » posées à sa mise en oeuvre, que ce soit par le travail de la justice dans le contrôle des élections, les cordons sanitaires mis en place dans plusieurs pays européens entre les partis dits de gouvernement et les partis illibéraux et agents de l’étranger en tout genre, ou encore l’application des lois européennes mises en place pour protéger les citoyens des abus, de la haine et des manipulations sur les grandes plateformes sociales, américaines.

Cette tentative d’ingérence dans le fonctionnement des démocraties européennes qui ne fonctionneraient pas comme celles des Etats-Unis de Donald Trump a marqué un tournant majeur dont les conséquences ne font que commencer à se faire sentir.

De l’ingérence à l’impuissance : les risques pesant sur le futur pacificateur des Etats-Unis

Europe et Etats-Unis cessent donc de parler le même langage sur les valeurs qui leur étaient communes. Les Etats-Unis s’immiscent dans ses affaires intérieures et exigent des changements profonds que nous, Européens, ne devrions accepter sous aucune condition sans remettre en cause nos valeurs fondamentales communes à l’Europe. Cette divergence est l’un des risques à moyen terme qui menace la relation transatlantique.

Mais ce risque est aussi à tempérer par le risque tout aussi réel d’impuissance américaine. Engagés dans de profondes transformations internes, les Etats-Unis ne seraient eux-mêmes pas à l’abri de paralysie ou d’être prise au dépourvu dans la mise en oeuvre de son agenda intérieur ambitieux aux connotations illibérales.

Dans le « meilleur » des cas, les Etats-Unis pourraient très bien s’adapter aux nouvelles normes que l’administration Trump lui impose, sans trop de résistance même, mais les bisbilles intérieurs pourraient malgré tout détourner l’attention de l’administration de ce qui se passe à l’étranger, ou bien l’exposer à des surprises stratégiques. Le manque d’attention pourrait être accentué par des administrations de défense ou de renseignement déstructurées, en manque de personnel ou politisées (dernière annonce en date, celle de la suppression de la moitié de l’Office of the Director for National Intelligence par Tulsi Gabbard).

Dans le « pire » des cas, la résistance intérieure s’organise, les élections de mid-terms de l’année prochaine ne se passent pas comme prévu ou bien la perspective d’un troisième mandat trumpien finit par mobiliser l’Amérique silencieuse, le Congrès se retrouve bloqué ou empêché et le monde ferait face à une Amérique encore plus divisée, aux prises avec ses divisions internes et incapables de répondre aux défis de ses adversaires stratégiques qui ne manqueraient pas de profiter de cette occasion unique.

Le partenaire américain doit être considéré comme dominant et plus décomplexé que jamais, révisionniste, conquérant et expansionniste, imprévisible sans aucun doute. Le risque d’instabilité est soigneusement ignoré, de peur de froisser des ego à fleur de peau, malgré son fort potentiel déstabilisateur.

Tous baignés dans l’optimisme hollywoodien d’une Amérique qui sait se relever et se réformer malgré ses passions et ses erreurs, les Européens et certainement nombre de nos amis américains parient sur des rééquilibrages à moyen terme malgré les coûts à supporter pendant un court moment. L’examen succinct des constatations ci-dessus pointe au contraire à un basculement possible, difficilement prévisible et structurel et appelle à la prudence. Avec le risque que nous ne parlions plus le même langage quand il faudra entrer dans les détails des pourparlers de paix entre Américains et alliés ou faire face à de nouvelles crises.

Sources:

The Hill, NATO chief: Trump a ‘pragmatic peacemaker’, 19/08/2025, https://thehill.com/policy/international/5459057-nato-mark-rutte-donald-trump-russia-ukraine-meeting/

New York Times, Trump Says He’s Ended 6 (or 7) Wars. Here’s Some Context, 20/08/2025, https://www.nytimes.com/2025/08/19/world/europe/trump-six-wars-fact-check.html

BBC, How many wars has President Trump really ended? 20/08/2025, https://www.bbc.com/news/articles/c5y3599gx4qo

The Guardian, World’s conflict zones increased by two-thirds in past three years, report reveals, 21/11/2024, https://www.theguardian.com/global-development/2024/nov/21/world-conflict-zones-increased-by-two-thirds-past-three-years-report-ukraine-myanmar-middle-east-africa

Le Grand Continent, CHANGEMENT DE RÉGIME : LE DISCOURS INTÉGRAL DE J.D. VANCE À MUNICH, 14/02/2025, https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/14/changement-de-regime-le-discours-integral-de-j-d-vance-a-munich/

CNN, Gabbard announces more cuts to top US intelligence agency, 20/08/2025, https://edition.cnn.com/2025/08/20/politics/gabbard-announces-more-cuts-top-us-intelligence-agency

Laisser un commentaire