The Great Delusion : l’ordre libéral international contraint de se réinventer pour survivre

John Mearsheimer espère sonner le glas de la période post-guerre froide « de l’hégémonie libérale » américaine avec son livre The Great Delusion : Liberal dreams and international realities. Il constate l’échec de la pensée et des politiques libérales dans les sables d’Irak et d’Afghanistan. 

De prime abord, il est difficile de lui donner tort en voyant les troupes américaines toujours engagées sur le sol afghan 18 années après le lancement de leur offensive pourtant victorieuse contre le régime des Talibans, sans perspective réaliste aujourd’hui de succès stratégique à long terme ou de retrait honorable malgré les quelques 750 000 soldats américains qui se sont succédés, parfois à plusieurs reprises et sur plusieurs générations, sur ce théâtre d’opérations maudit pour les grandes puissances de ce monde. 

De l’objectif initial assez clair et déjà ambitieux de neutralisation de la menace d’Al Qaeda, le parfum de victoire a poussé les Etats-Unis, avec le soutien de l’OTAN et des autres membres de la coalition américaine, à voir plus grand pour un pays qu’on voulait rattacher définitivement à l’ordre international libéral en en faisant une économie de marché et une démocratie prospère, pour lutter durablement contre l’extrémisme et le terrorisme. L’exemple d’une transformation démocratique et libérale réussie devant donner l’espoir pour la transformation de bien d’autres régimes similaires vers une certaine idée de l’ordre mondial globalisé.

Aujourd’hui, le résultat est très loin du compte et les avancées qui auront été réalisées font pâle figure et sont menacées face à un Etat afghan corrompu en déliquescence et le gouffre financier et politique de cette intervention qui va chambouler jusqu’à la politique domestique des Etats-Unis. 

Et, pour John Mearsheimer, le coupable est tout trouvé au sein de l’élite américaine, républicaine ou démocrate, et de sa conversion au libéralisme dans les affaires internationales. Prise dans ses hallucinations ou illusions de grandeur à cause d’une position hégémonique dont elle n’aurait pas été prête à assumer les responsabilités, celle-ci aurait perdu de vue les intérêts américains, tandis que les conséquences de sa politique étrangère menaceraient aujourd’hui les équilibres même de la république américaine.

Dans cette œuvre pleine de panache et de rigueur, l’auteur nous propose tout simplement de démontrer que le libéralisme est fondamentalement corrompu en raison de ses présupposés erronés, ce que dévoileraient enfin les échecs de la politique libérale américaine dans les grandes zones de conflits des décennies passées. 

Je ne crois pas employer de mots trop forts pour traduire l’esprit et la lettre de cette œuvre. Il s’agit d’une œuvre militante qui ne se limite pas au juste « je vous l’avais bien dit » mais qui entreprend une entreprise de reconquête idéologique en bouleversant les principaux marqueurs de la politique étrangère américaine qu’il a identifiés sur les trois décennies passées. 

Selon l’auteur, la conception réaliste de la nature humaine doit reprendre ses droits dans l’organisation des sociétés et des relations internationales associées. Cette vision repose sur le principe de survie et sur celui de la précédence de la société, et de ses besoins, sur l’homme et de ce que les libéraux lui ont attribué en termes de droits inaliénables individuels. L’auteur dénonce les fondements erronés de cette philosophie libérale qui fait de l’individu et de ses « supposés » droits humains inaliénables et universels le centre de la raison d’être et des prérogatives de la chose publique tant sur la scène domestique qu’international. 

Au contraire, le réaliste soutient que l’individu est fondamentalement dépendant de sa société d’origine dont il fait partie, consacrant par là même un relativisme et déterminisme culturel et politique débouchant pour lui sur l’impossible réconciliation et union des peuples autour d’une conception commune de l’humanité. La société l’emporte car elle offre tout à l’individu son pain quotidien, un toit et une identité mobilisatrice, c’est-à-dire une raison et les moyens de survivre. 

L’impasse libérale serait ainsi provoquée par l’échec de la Raison à faire émerger ces valeurs unificatrices universelles que les libéraux prêchent aux quatre coins de la Terre.  Cet échec de la Raison serait d’autant plus préoccupant qu’elle ne concerne pas seulement la définition de cette vision unique, mais aussi l’ensemble de l’architecture théorique mise en place pour en démontrer les bénéfices pratiques. L’auteur consacre ainsi une part significative de son temps à contredire ou à relativiser l’impact des grandes théories sur la paix et la prospérité de l’ordre libérale comme la théorie de la paix démocratique, celle de l’interdépendance économique et celle de l’institutionnalisme libéral, en reprenant les grandes critiques classiques contre ces théories.

Le libéralisme est déclaré d’autant plus impuissant lorsqu’il est confronté non seulement au réalisme, mais aussi à la troisième force et philosophie qu’il souhaite réhabiliter dans son œuvre, qui est le nationalisme, cette force qui aurait été oubliée ou négligée par l’élite américaine libérale malgré sa forte résistance tout au long des décennies passées et de la Guerre froide et sa désormais résurgence aujourd’hui à travers le monde. 

Les effets de l’échec philosophique du libéralisme seraient multipliés par la domination d’une forme bien particulière du libéralisme, le libéralisme progressiste, une version qui mènerait, tant sur la scène domestique qu’internationale, une politique d’ingénierie sociale (« social engineering ») visant à promouvoir et imposer les droits inaliénables des individus qui seraient en plus incapables de mobiliser et de rassembler les peuples, tout en transformant les sociétés qui ne l’ont pas forcément demandées. 

Cette vision positive du libéralisme l’aurait remporté sur une vision négative qui tenterait principalement d’assurer la liberté de l’individu, toujours la préoccupation principale de toute politique publique, par la limitation du pouvoir de l’Etat ou de toute structure politique ou sociale dans laquelle il s’intègrerait (« Modus vivendi liberalism »). 

De ce libéralisme progressiste, l’auteur en découle tout le mal qui gangrène l’ordre mondial actuel : le militarisme libéral comme source d’instabilité et de guerres sans fin, la diplomatie rendue impossible par le jusqu’au-boutisme des « croisés libéraux », les assauts à la souveraineté éternelle des nations. 

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