#NPTRevCon 2022: Premières nouvelles sur la Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires

L’Histoire nous dira comment le report de 2 ans de la conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) aura influencé les efforts de désarmement et de non-prolifération nucléaire dans le contexte de crise internationale aiguë . Une chose est sûre, l’actualité des deux années de report a remis ces questions au centre de nos préoccupations et, alors que le sentiment général de crise du multilatéralisme et de l’ordre international libéral prédomine, les débats de ce mois d’août nous rappellent que les pays et les peuples ne peuvent pas rester seuls dans leur coin pour régler des questions qui nous concernent tous. A la mi-temps de la conférence de révision et au moment où les parties au traité négocient les contours d’une éventuelle déclaration commune, voici une brève revue des positions et des sujets de discussion de cette conférence.

Il n’y aura aucune prétention de prédire l’issue de cette conférence. C’est une question qu’il faut laisser à des personnes bien plus impliquées et expertes sur ces questions. Peut-être d’ailleurs qu’il ne faudrait pas mesurer le succès de cette conférence à l’adoption de telle ou telle position commune. Elle aura déjà réussi dans l’exercice de clarification des positions et ambitions des uns et des autres. Il y a de nombreux désaccords mais les Etats se parlent, les postures et impostures de chacun éclatent au grand jour et chacun peut faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. Cela n’est pas forcément rassurant à vrai dire, car cela ne fait pas non plus avancer les travaux de désarmement et de non prolifération, mais ces conférences, le multilatéralisme, sont aussi faits pour cela et pour dévoiler les équilibres et déséquilibres qui vont façonner le monde dans les mois et années à venir. Rien que pour cela, la conférence tombe à point nommé et souligne l’utilité du multilatéralisme en action.

Alors, que faut-il déjà retenir de la conférence d’examen? Ce bilan n’aura pas l’ambition de l’exhaustivité mais plutôt d’un retour sur les points qui interpellent.

De crise en crise, l’ombre de l’arme nucléaire reprend une centralité inquiétante

Dans l’ombre des parapluies nucléaires durant un moment chaud de notre Histoire, de nombreuses crises trouvent des ramifications dans le périmètre couvert par le TNP. Sans trop de surprise, les crises du moment pèsent sur les questions abordées et révèlent combien celles-ci rendent pertinentes et incontournables les questions sur la non prolifération, sur le désarmement, sur la place de l’arme nucléaire dans la doctrine militaire et de sécurité des Etats, sur les conséquences de leur éventuelle utilisation, sur les garanties à apporter aux Etats qui n’en sont pas dotés. D’abord, la guerre en Ukraine oppose la Russie et un Occident qui ne sont pas prêts de s’entendre. Cette guerre met en exergue la question des garanties de sécurité positives et négatives à apporter aux Etats non dotés en armes nucléaires, notamment en raison des menaces proférées ces derniers mois par la partie russe d’utiliser des armes nucléaires de faible puissance contre un Etat ukrainien dénucléarisé. Des menaces qui constituent par ailleurs un précédent fragilisant tant l’esprit que la lettre du TNP et qui pèseront sans aucun doute dans la rédaction du rapport final s’il y en a un.

Les autres tensions entre la Chine et les Etats-Unis se manifestent dans les débats de la conférence notamment autour de la question du transfert des technologies de propulsion nucléaire à l’Etat australien non détenteur d’armes nucléaires et de l’accord AUKUS encadrant ce partenariat, ainsi que sur le partage nucléaire entre les Etats-Unis et certains alliés européens de l’OTAN. Sans rencontrer le même niveau d’hostilités, nombre d’autres Etats de la zone Pacifique se montrent par ailleurs inquiets sur les perspectives de l’accord AUKUS, regrettent, pour un certain nombre d’entre eux, de ne pas avoir été consultés et semblent continuer à l’être comme l’Indonésie (cf. infra).

Les questions de prolifération sont toujours d’actualité autour des sujets iraniens et nord-coréens, mais il est important de souligner dès à présent que les inquiétudes sur les risques de prolifération tendent à s’entendre plus largement sur des acteurs plutôt inhabituels comme nous venons donc de l’évoquer.

De nouveaux sujets et une nouvelle concurrence pour le TNP

Les prises de position d’un certain nombre d’Etats de la zone Pacifique soulignent aussi les inquiétudes de plus en plus présentes dans les accord internationaux sur le sujet quant à l’impact potentiel d’une éventuelle guerre nucléaire, mais aussi de cette « prolifération » des sous-marins à propulsion nucléaire dans leur région, sur l’environnement et sur les populations. Ces Etats s’inquiètent d’avoir déjà dû subir à leurs dépens les efforts de développement de l’arme nucléaire par ces puissances en question lors des campagnes d’essais nucléaires dans la région. Le risque d’accident ou, dans le cas d’un conflit, de destruction de ces navires pèsent aussi dans les esprits de la région, tout autant que les questions relatives aux équilibres régionaux qui sont influencés par le renforcement des alliances militaires. Cette question dépasse d’ailleurs largement l’alliance de l’AUKUS parce que, au final, comme l’a souligné les Etats-Unis durant la conférence, la Chine a mis en service sur la dernière décennie 6 sous-marins à propulsion nucléaire et plus de 72 têtes nucléaires en service dans la zone Pacifique, et contribue ainsi à la nucléarisation de la zone pacifique.

Ce dernier point illustre tout d’abord la prise en compte de nouvelles thématiques dont les parties membres au traité sont mises au défi de traiter de façon plus proactive. Les avancées réalisées en marge du TNP avec le traité sur la prohibition des armes nucléaires qui incorpore ces problématiques mettent sans aucun doute la pression pour une modernisation de l’approche de la non-prolifération nucléaire et du désarmement en prenant en compte d’autres sujets comme les questions de genre, de la protection des victimes, de la protection de l’environnement, etc. Plus d’ouverture sur la société civile sur ces questions monopolisées jusqu’à présent par les Etats semble être opportune. Les questions sur la non prolifération et sur le désarmement tendent à trouver de nouveaux forums qui, s’ils ne remettent pas en question le TNP, doivent le pousser à plus d’audace et plus d’efficacité pour rester pertinent. Cela démontre aussi une certaine complémentarité et une obligation de montrer de nouveaux résultats. Les Etats dotés de l’arme nucléaire sont sommés de ne plus se contenter des avancées passées en matière de désarmement et de continuer leur effort.

Le désarmement nucléaire mal au point?

Ce dernier débat sur la place du nucléaire dans la zone Pacifique illustre aussi que la question de la dynamique du désarmement se pose. Est-on aujourd’hui encore dans une logique favorable à cet objectif? Les Etats dotés de l’arme nucléaire font-ils ce qu’ils doivent? Si ce n’est plus le cas, comment faire rentrer le diable dans sa boite? Les débats de la conférence montrent que la question du désarmement est peut-être mal posée aujourd’hui car la situation actuelle fait plutôt penser à une situation de réarmement.

Ce n’est pas seulement une question chinoise, mais aussi une question applicable à chacun des Etats dotés. Pour la Chine, l’actualité des derniers mois ainsi que les déclarations récentes démontrent une logique de renforcement de l’arsenal nucléaire chinois de fait, à travers sa flotte de sous-marins lanceurs d’engins et de nouvelles capacités de lancement de missiles balistiques sur de nouvelles bases. Certains déplorent que tout cela se fasse en pleine opacité et, par conséquent, dans le dos du TNP. Il n’y a pas de courses à l’armement selon les autorités chinoises, ou bien c’est rien comparé aux arsenaux existants, mais cela ne résiste plus à l’examen fait par les uns et les autres, ce qui va peser dans la dynamique globale du TNP tout comme dans la perception des équilibres régionaux. La corde de la clémence pour les belles déclarations a bien été usée par la Russie durant la décennie passée et n’a plus la même efficacité.

Pour les autres Etats dotés de l’arme nucléaire, le développement de nouveaux vecteurs par la Russie dans tous les domaines, mais aussi les programmes de modernisation actuels pour les autres (Etats-unis, Grande-Bretagne et France avec le programme ASMP-A Rénové en cours et ASN4G à venir) poussent d’autres Etats à critiquer ce réarmement à peine voilé par le biais de la modernisation des capacités de chacun. Que tous ces programmes soient menés selon les principes de stricte suffisance, d’approche réaliste basée sur une perception réaliste de l’environnement sécuritaire, de maintien de la crédibilité de la dissuasion ou de reconnaissance qu’il n’est simplement pas possible de réduire les stocks d’armes dans le contexte actuel, et j’en passe, la modernisation de ces capacités nucléaires confirme un mouvement de réarmement qualitatif qui s’inscrit sur le long terme. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’un des trois piliers majeurs du TNP. Cela n’encourage pas non plus les efforts de non-prolifération, ni à la clémence de la part de la très grande majorité des parties au traité. Des compensations et des garanties sont en place et sont proposées, mais cela sera-t-il suffisant pour canaliser ce mouvement et pour convaincre les autres Etats de la volonté réelle de désarmer par les puissances nucléaires?

Mentionné précédemment, l’accord AUKUS est aussi perçu comme un enjeu de prolifération. Les Etats-Unis veulent y mettre toutes les garanties à travers l’AIEA et en font donc aussi un sujet, tout en insistant pour dire qu’il n’y a pas de risques, et donc pas de sujet. Ils mettent aussi en avant la bonne foi australienne démontrée par un bilan jusqu’à présent impeccable vis-à-vis du TNP, et soutiennent donc qu’il n’y a pas de problème, mais force est de constater que c’est aussi devenu un sujet de débat et d’inquiétude qui dépasse les positions très offensives de la Chine à ce sujet. Sans revenir dessus trop longtemps, d’autres Etats de la région se sont émus de cet accord et maintiennent ces positions ou inquiétudes, avec certainement plus de diplomatie que la Chine. L’Indonésie demande notamment durant cette conférence l’encadrement de la propulsion nucléaire navale par le TNP à travers des mesures de vérification et de suivi. Il sera intéressant de voir comment ce sujet sera adressé dans tout accord final éventuel. Et s’il a vocation à s’appliquer à tout le monde…

La Chine s’invite dans les débats sur la sécurité de l’Europe

La partie chinoise se montre en tout état de cause très offensive sur la question de la prolifération à l’égard des Etats-Unis. Au-delà de la question de l’AUKUS, elle remet aussi en cause les accords passés par les Etats-Unis concernant le partage de capacités nucléaires avec certains Etats européens dans le cadre de l’OTAN qui sont présentés par Beijing comme un acte de prolifération. Les USA voulaient intégrer la Chine dans les discussions sur le désarmement jusqu’ici limitées avec la Russie, les voila donc servis! Bien évidemment, il ne semble pas y avoir, au moins au niveau des discussions officielles, aucun changement majeur sur ce sujet, mais cette interpellation chinoise intrigue. Surtout, il semblerait que, maintenant, la Chine s’intéresserait de très près aux questions de sécurité de l’Europe. Sûrement, compte tenu de son appréciation de la situation dans la zone Pacifique, la Chine souhaite préempter toute velléité américaine de déployer un dispositif similaire avec ses alliés dans la région. S’il faudra bien que ce sujet soit abordé un jour dans le cadre du désarmement, il n’est pas moins cocasse qu’il soit relancé par la Chine (pour être plus précis, ce sujet avait été lancé lors de la conférence de 2015 par… la Russie, qui semble d’ailleurs le soutenir derrière les rideaux) . L’actualité fait qu’on est dans tous les cas plus sensible à cette projection chinoise aussi loin de ses terres.

Suivre les débats des prochains jours.

Les jours et heures à venir vont être cruciaux pour voir comment les Etats parties au TNP réussiront à mettre de l’huile dans les rouages du désarmement et de la non-prolifération. Les premiers documents préliminaires circulent les discussions d’amendement en amendement se poursuivent. N’hésitez pas à suivre le hashtag #NPTrevcon qui fournit un bon fil d’infos sur le sujet.

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